
« Cy gist Yolande Bailly, qui trépassa l'an 1514, le 88e an de son âge, le 42e de son veuvage, laquelle a vu ou pu voir devant son trépas deux cents quatre vingt quinze enfants issus d'elle »
Je m’appelle Yolande
Née dit-on
Il y a quatre-vingt huit ans
Et deux cent quatre vingt treize enfants sont nés de mon sang
J’ai vécu si longtemps et il y a si longtemps que le souvenir en est effacé
Je m’appelle Yolande
Mangée par la mort en neuf jours
Seuls les os surnagent, enfouis sous les innocents
Qui servaient alors à se chauffer
Ou à faire du pain quand il y eut famine
Mes dernières années
Je les vécus
Emmurée
Réduite à la plus simple expression
Et si le corps bougeait encore
C’est que les enfants dans mon ventre y avaient laissé leur empreinte
Et que la vie y trouvait filature
Dans la pénombre assise et moisie
Je prie ou n’est-ce qu’un murmure
Le Dieu d’amour et de peine
Le silence sous la poitrine
Frappe un coup
De ce côté-ci
Puis un autre
De ce côté-là
Le cœur donc a ses côtés
Et même par grand froid
Le sang dans les veines bout
J’étais gaie autrefois
Je venais en ces lieux vendre du plaisir
Sur les tombes je fabriquais des enfants
J’ai pêché monseigneur je le sais
J’ai donné comme donnent les chiens
J’ai mordu et j’ai joui
Et les coups seuls me furent rendus
Mais à vivre aujourd’hui
Suffit
Un peu de pain
L’eau du ciel
Traverse la pierre jusqu’à mon souffle
La prison monseigneur est en chair et en os
Elle se brise mais lentement
Comme la roche dans le lit des rivières
Je m’appelais Yolande
Et je mourus en l’an mille cinq cent quatorze