Pour ses vingt deux ans – hier
Nous avons regardé un film – un peu idiot
Soufflé deux chiffres qui donnaient son âge
Léché nos doigts après les glaces et le chocolat
Dormi si tard
Que déjà le jour d’après s’insinuait
Avec des idées bien arrêtées
Sur des choses immédiates
Avec des goûts certains
Pour des plaisirs répétés -
Se lever matin
Émoustillé par le charme flou de la femme enfant
Mais sachant déjà
Que tout ira mal.
Phrases idiotes de roman photo
(« Je ne crois pas que je te rende heureuse »).
L’envie de lui faire plaisir
De lui faire mal.
L’envie de partir
De rester.
Elle détache les bons d’achat
Sur des pots de yaourt
Me demande de la monnaie
Passe le plus clair de son temps
Sur un portable de salon.
Il aura suffi d’une journée vide
D’un mot mal choisi
Pour qu’elle délaisse ses magazines
Et de rage, trouve les larmes de me quitter.
Je suis là, tout penaud
Sur un quai de banlieue
Les mains dans les poches – il fait froid
Les autres vont travailler
Moi je rentre chez moi
Mes enfants ma femme
Me donnent parfois des nouvelles
J’habite seul un studio
Où je me laisse pousser une barbe de six mois.
Pour un poème
Pour un braquage
Je passe des entretiens.
Dans les cafés de centres commerciaux
Je trouve place
Parmi des gens qui se connaissent
Et font semblant d’être comme il faut
Et le serveur
À sa façon de se faufiler entre les tables
De lancer des coups d’œil furtifs
Mérite bien un pourboire
Que je ne lui laisserai pas.
D’ailleurs
Je ne suis pas bien sûr
D’être encore là.
(toiles de Malcom Liepke, 1953)