
Les statues sont assises
Bras croisés
Jambes pendues
Pensives
Médisant des passants
Comme des commères
Sous de vieux chênes étiques.
Elles n’ont pas un regard pour l’enfant,
Surgi d’une boutique
Hors d’haleine, tout tremblant
Et qui tombe, et qui saigne.
C’est juillet, l’école est fermée
Et les pierres brûlent comme des plaies.
Le maître boit le café en terrasse
Et mieux vaut filer par des rues plus tranquilles.
Des gitans astiquent pieds nus
Une vieille locomotive, rouillée jusqu’à l’os,
Garée sous des pins cendrés.
Il y a là les copains de mon frère, en bande, donc féroces
Ils auraient bien ri s’ils m’avaient trouvé ici avec elle
Mais elle n’est pas venue.
La nuit maintenant tombe des nues.
Certains quittent leurs abris, vont à la rue
Pour un peu de fraîcheur
Pour une odeur de terre mouillée
Et d’herbe poisseuse
De café serré et de pisse de chat.
On entend l’ambulance rendre grâce
Avant d’atteindre la maison en flammes.
C’est une toute petite maison, mal raccommodée
Entre deux immeubles modernes.
Elle ne touche plus terre
Elle s’enfonce dans l’air,
Soulevée par des cheminées étroites, jamais ramonées.
Y habitait seul un vieil homme.
Qui tenait autrefois le cinéma.
Si je m’endors,
Je sais qu’elle viendra.
Suffit de rêver.
Queue de cheval et jambes élastiques,
Cœur de marelle, mâchonné comme de la marguerite.
Sous la statue du klephte
Qui regarde au loin
Le champ de bataille,
Ni le fracas des armes
Ni le sifflement des flèches
N’abrégeront le sommeil.
C’est ridicule à la fin
Ce qu’il y a là, sous le cœur
A se lécher les entrailles
Avec de la suie de carnaval et des masques de craie.
La professeure de musique
Me tire de mes rêves érotiques.
Elle me fait des remontrances.
Ce n’est pas une heure pour un enfant.
Je hausse les épaules et je m’en vais,
Bombant le torse comme un voyou,
L’œil baveux, le genou qui saigne
Sous les rires moqueurs des écolières.
Ma maison est au bout de la rue, penchée,
Tenant par les cierges aux fenêtres allumées.
Mon père se réveille à peine, il travaille de nuit
Et c’est quand j’apprends de ma mère
Que le vieux monsieur du cinéma est mort
Que je pleure enfin
Toutes les larmes de mon corps
Et d’autres encore venues d’ailleurs,
Des cœurs de loup
Lanceurs de disques, sophistes à leurs heures
Athlètes ou bonzes
Qui montent la garde
Devant les phonèmes qu’elle garde en bouche
Longtemps
Longuement
Tout le temps qu’il faudra
Pour me faire mourir
D’elle.