Quand j’étais jeune –
Je ne le suis plus –
J’avais idée que les poètes étaient bien au dessus
Qu’ils vivaient dans les hautes sphères
Qu’ils côtoyaient les dieux les rastaquouères
Qu’ils respiraient plus haut plus d’air
Je n’étais pas seul à le penser – la preuve
Au lycée un camarade en écharpe Benetton
Avait toujours sous le coude
Du Renaud – laisse béton
Et du Mallarmé – le coup de dès, je crois
Je le trouvais snob mais lui au moins savait y faire
Dans le genre d’établissements que nous fréquentions
Il était à la page et je ne l’étais pas
C’est lui que choisit la fille qui me plaisait tant
Il jouait au basket
Elle venait à ses matchs
Je la côtoyais dans les gradins
Sans oser l’aborder
Il était grand, mince, sportif
Chaussait au moins deux tailles au-dessus de la mienne
À la fin du match, son équipe l’ayant emporté
Je le vis monter dans les gradins
S’approcher d’elle, l’embrasser à pleine bouche
Et là, je surpris dans ses yeux à elle
Un chavirement tel que depuis
Mallarmé m’insupporte
Et tous les poètes bien léchés
Et tous les grands esprits qui me serinent
Que la vie est toute d’intériorité et d’une essence si rare
Que la vivre d’un trait, sans réfléchir, serait faire injure
Aux dieux et aux membres de la tribu
Quelqu’un par la suite me démontra par a + b
Que l’âme expirée de Mallarmé
Ne se résume pas à l’absente de tout bouquet
Que les bouquets font des fleurs
Et les fleurs des boutons
Que tout va et vient sans certitude
Qu’on n’attrape les lucioles qu’à la tombée du jour
Qu’il ne faut rien négliger ni présumer
Je devins.
Je devins
Ce que j’étais
Doigts jaunes à force de ricaner
Haleine de bouc, cheveux oxydés, jeans troués
Oui c’était moi
Qui m’entraînait dans les bars
Où d’autres comme moi se retrouvaient
Les coudes fatigués par les nuits de veille
Les yeux envahis de paupières
La poésie se faisait à mon insu
Descendue toute seule dans la rue
Au canif, pieds nus, bouts à bouts
L’abri-bus était sa boutique
Et les rimes en « tics » sa gymnastique
La matière ne manquait pas
J’en mastiquais, langue et mains liées
Que le moindre épanchement en vers passe pour un travers
Ne me décourageait pas
J’écrivais pour une femme qui n’existait pas
La faire attendre était donc jeu d’enfant
À la rigueur, me chuchoterait-elle à l’oreille
Tu pourrais être l’un de ces majordomes
Qui sur les cendres encore chaudes versent des émoticônes
Qui se tiennent dans l’entrée mais n’entrent jamais
Gardiens de maisons anciennes qu’ils n’habiteront jamais
Elle avait raison, la muse, elle voyait clair :
J’étais toujours dans les gradins de ce foutu gymnase
A guetter l’infâme rejeton de Mallarmé
Qui viendrait sous mes yeux, sans me voir
Me ravir le fol espoir
D’une vie toute extérieure
© Denis Petit-Benopoulos
