
Il a pris le volant en pyjama
Il a conduit en pyjama
Jusqu’à son lit
De l’autre côté du pays
Il faisait déjà jour
Quand il est arrivé
Il a retiré le pyjama
Il a enfilé un costume debout
Serré une cravate à son cou
Puis il est allé travailler
Il a pris le train cette fois
Traversé des banlieues
- c’était un pays de banlieues, les cités n’avaient pas de centres, rien que de la banlieue desservie par des trains de banlieue –
Arrivé à son bureau
Il n’a pas tenu dix minutes
N’ayant pas dormi de la nuit
Il s’est assoupi tout de suite
Le patron l’a renvoyé chez lui
Pas d’entretien de sortie
Plus de boulot
Ce n’était pas une vie
Ça l’ennuyait tout de même
Il a renfilé son pyjama
Il est sorti comme ça
En pyjama
Il y avait là de grandes manifestations
Des débordements des échauffourées
Il a brandi une pancarte
Déroulé une banderole
Dans un mégaphone il a raclé le fond de sa gorge
Et quand la nuit est venue
Il s’est endormi sous un abribus
A côté d’un type affublé d’un bonnet noir
Enfoncé jusqu’aux paupières
« Une cigarette ? »
Il avait le bout des doigts noirs
Lui manquait une dent du milieu
Des CRS sont arrivés avec des couvertures
Ils l’ont frappé aussi
Lui et l’autre
Mais juste un peu
Parce qu’il faisait froid
C’était comme rebattre des cartes
Pour tout recommencer
Le camion poubelle les a réveillés
C’était l’ouverture des magasins
Le manège des manutentionnaires
Qui fument devant les entrepôts la première cigarette
Sirotent un café noir dans un gobelet de plastique blanc
Ils ont fait les courses
Acheté du pain deux pommes deux bananes
Il a appelé sa femme
Elle vociférait dans le combiné
Ne voulait plus le voir
Plus entendre parler de lui
« Tu as pensé aux enfants ? »
Qu’elle disait
Alors il n’est pas rentré
Ils ont bu du vin dans des bouteilles en plastique
Mendié quelques pièces
Ça suffisait pour remplir la bouteille
Ni vu ni connu
C’est sa fille qui est venue le chercher
L’aînée qui travaillait à la poste
Elle et son fils de cinq ans habitaient un appartement de banlieue
Dans un immeuble au-dessus d’un centre commercial
La chienne était dans l’entrée
Et le chat à l’étage
Maxime – c’était le nom de l’enfant - était à l’école
Il a ouvert la télévision
Il a descendu les poubelles
Il a enfilé son pyjama
- sur e-bay il a vendu son costume ses cravates
Et même le badge du syndicat -
L’ambulance était là dans l’entrée
Elle attendait comme un maître attend son chien
Depuis des heures déjà
Les deux ambulanciers ne trouvaient pas le bon appartement
Ils sonnaient partout au hasard
Personne ne voulait descendre
Personne ne pouvait les renseigner
Mais à la fin
Il est descendu
Il s’est allongé à l’arrière
Il a fermé les yeux
Derrière des paupières toutes neuves
Livrées avec la nuit
Ils sont arrivés trop tard
L’hôpital avait déménagé
Il ne restait plus qu’un amas de pierres fumantes
Un trou dans la terre
Et des hommes et des femmes grenouilles
Qui, leurs palmes sous le bras,
Mendiaient sur la voie publique
Alors il a fallu tout reprendre à zéro
Mettre l’alarme à cinq heures et demi
Reprendre le volant
Retraverser tout le pays
Racheter le badge
Remettre le cv à jour
Repasser un entretien d’embauche
Louer un studio un meublé
Vivre seul
Remplir les canettes
Les vider
Devenir quelqu’un
Quelqu’un de raisonnable
Qui touche des indemnités
Qui regarde la télé
Qui fait les fins de marché
Et les fonds de verre
Qui ne met son pyjama
Que pour aller dormir
Sur un canapé flottant
Trouvé en se baladant
Derrière la déchetterie
© Denis Petit-Benopoulos