Il y a dans ma tête
Un sacré charivari
Écheveau de rêveries
Pépites d’incendie
J’en suis revenu aux premiers âges
Tout meurtri de l’intérieur
Un paysage de neige et fumeroles
Dans une campagne isolée
À partir d’une seule fourmi
Me dit l’enfant rieur
Nous rebâtirons la fourmilière
Nous allumerons des cigales

Le ciel aussi se laisse
Aller
Il suffit au vent de lever les yeux
Il suffit par endroits de s’en aller
Tout engourdis
Tout empêtrés de neige
La nuit nous ramène toujours
Sur nos pas lourds dans l’herbe sèche
Ce qui nous guette
Est à peine évoqué
Comme une eau vive
Dans les mains jointes des rochers

Je me retrouve à moitié seul
A moitié fou
Avec moi-même
Et l’autre fou
Un sentiment de préfabriqué
Mais tronqué
Deux moitiés n’en font pas une
C’est un mauvais calcul
Bêtement platonique
Je regarde autour de moi
Et sous la paupière mi-close
Je vois toujours
Le miroir en demi-cercle
Peut-être
Peut-être que dans un jour ou deux
D’autres voyages seront envisagés

Dis-moi « miroir »
Comme on frotte une allumette
Contre la joue
Si je suis le plus laid
Si je suis le plus regretté
Dis-moi « miroir »
Comme on claque un doigt
Sur un tambour
Si je dis vrai ou si je mens
Ensuite ne va pas trop vite
Trop de ratures sur la peau
Pourraient nous égarer
Mieux vaut aux larmes confier
Nos reflets

Je me débrouille
Avec des morceaux de féérie
Avec des tabliers de pierre
Je déplie
Sous l’écume des champs brûlés
Les carreaux précis de la fenêtre
Buées rouges et vertes
Saisies dans le verre
Le paysage en est tout encadré
Toi tu t’accoudes
Aux cheminées
Aux meneaux d’idées fixes
Aux attouchements de nos peaux
Sur de fines pelures de fruits

Et ce que j’en sais moi
Le cours des années
Le dilapide
Pour seule monnaie d’échange
La plus menue des monnaies
Sandales d’or et d’argent
Fines perles de sang
Et cette boule d’hippopotame
Qu’un enfant d’à peine
Quatre mille ans
A tenu dans sa paume
A fait rouler
Sur la terre battue de sa tombe

Une équerre
Un compas
Un rapporteur
Si j’étais un enfant
Bouche bée devant la vitrine
Obsédé par le Nil et ses crues crocodilesques
J’écoperai d’une retenue
Envoyé à la récré
Dans le bureau ovale de la directrice rousse
Aux yeux de bouc

Sur le bois blond des estrades
Ses jambes scintillent
J’aurai pour punition
D’écrire cent fois à la ligne
« Je ne suis pas Ramsès II ni un »
« Je ne suis pas Egyptien ni Hun »
Un peu de craie sur la face
Le sentiment d’une farce
Sous un buvard osé jusqu’à la tache
J’écrirai en plus des lignes imposées
« Le monde n’existe pas »
Seule la femme lui survivra

Tous les jours à la fac j’attèle
La charrue des os
Celle qui charrie les momies celle
Qui embaume
Puisqu’il le faut
Et puisque tu boudes
Je ferai
Avec mes os
Une momie amère
Car amusante est la vie en caïque
D’îlot en îlot de sucre glace
Et la mort ma chérie
La mort
Me crève d’ennui

Pour les enfants
Pour les brigands
Pour les pendus
Il faut
Aux ailes de corbeau
Greffer des pattes
De mouche
Il faut
Aussi
Un nom-
bril
Cousu
Au nom
d’air

Soc enfoncé jusqu’à la trame
Révulsant les couvertures
Palpant la pulpe du papier mie
Chaises déplacées
Au soir sous les fenêtres
Terres retournées
Sur des étoiles obélisques
Le silence s’apprend par le silence
Dans les eaux usées
De la rhétorique

LES PISTACHIERS
Ils construisent des immeubles quatre saisons
Avec des toits volants et des cheminées jetables
Les terrasses sont en verre dépoli
Et les ascenseurs en accordéon
Bientôt nous ne verrons plus, d’où nous sommes,
La montagne noire ni la chapelle incendiée
Qui faisait au massif des pointillés
La ville au loin gronde s’innerve de nouvelles terminaisons
Nous tournons en rond dans des espaces cubes
Des chambres aveugles percées de fenêtres écran
Les murs retiennent notre respiration
Et dans les salles de bain nous avalons toute la buée
Les parkings souterrains accueillent des fêtes clandestines
Dans les supermarchés les produits aérosols
Sont en tête de gondole avec les gants les gels la dopamine
Les ouvriers remplissent un container puis deux
Avec gravats barriques éventrées vaisselle cassée
Et les pistachiers sous lesquels autrefois des enfants tirés de leur sieste
Jouaient aux jeux de l’enfance et de l’oubli sans demander leur reste

IL PLEUT SUR LA NEIGE
Il pleut sur la neige
Et c’est mardi
Le facteur n’est pas encore passé
Mais il y a du jaune tournesol
Dans un vase un peu sale
Au milieu de la nappe émiettée
Les enfants font des rêves :
Courir courir jusqu’à l’horizon
Qu’on ne voit pas
À cause des maisons
La voisine a quatre vingt six ans
Son chien la promène
Deux fois par jour
Et quand elle nous croise
Elle nous dit en riant:
« Il pleut sur la neige
Et c’est mardi ».

On marque l’endroit
Ici
D’une pierre blanche
Puis on reste entre soi
À faire des nœuds
À tresser des nappes
On se donne l’âge
Qu’on veut
On a le temps
Pour se perdre en route
Faudra tout de même
Qu’on s’en souvienne
De la pierre blanche
Et des cheveux gris

Certains après-midi
On se fait des bises
Bonjour au revoir
À la courte échelle
On se donne des coudées franches
Avec des morceaux de cire
Dont on fera des bâtons pour les chapelles
Saint Anne et Sainte Marie
Priez pour celle
Qui rira bien qui rira le dernier
Et qu’avec des fleurs
Piétinées
Nous cousions les ongles de nos pieds

La photo
Dans le portefeuille
Aux bords dentelés
Très abîmée
Elle s’appelait comment déjà ?
La grande tante
Ou même l’arrière
Un prénom rare inusité - impossible à retenir
Nom de jeune fille
Sur la photo
Elle n’a pas trente ans
Elle sourit
Elle va se mettre à bouger à danser
À respirer
Elle va même avoir tout le temps
De ne plus vieillir

Faudra penser
À rapporter les bouées
On ne sait jamais
Faudra la nuit garder les phares allumés
Tout le long des allées
Là où le brouillard fait merveille
Le premier qui donnera des nouvelles
Aura gagné
Dans un box
Un pur-sang
Fait une embardée

REFUS D’OBSTACLE
J’ai garé la voiture
Dos aux fenêtres
J’ai parlé aux enfants
Qu’ils comprennent
J’ai appelé mais elle n’était pas là
Partie faire des courses
Ou bien en balade au cimetière
Comme tous les jeudis
J’ai rentré les vélos
À cause de l’orage
Fait les courses le ménage
La fillette me disait vous
Elle avait le plan du parcours
Déplié sur le capot
Mais au premier saut
Refus d’obstacle

à Laure
On disait d’elle que plus tard
Elle ferait tourner les têtes
Sa mère brune à lunettes avait un chalet
Là-haut dans les alpages
Fallait tirer sur les lacets pour enrouler les bosses
Faire tout tenir sur les piquets
Qui guidaient les chasse-neige
On y allait parfois
Tout là-haut
En renault seize
Avec tous les tournants et les chaînes
Il n’y avait qu’elle à cette altitude
Montée sur des dents de lait
À coudre le blé
Aux lèvres du pain

Machin
Machine
Qu’il disait
Les mots
Les mettait en vrac
Sous papier cellophane
On ne fait que ça
Se souvenir aphone
C’est fatigant qu’il disait
Un type un jour puis un autre
Boules de neige et karma à la gomme
S’est fait la malle
Ses parents ont appelé les flics
On a passé lui et moi
La nuit sur un banc
Avec sous les sandales
Du nougat écrasé
Et dans les poches
Des fraises tagada

SUPER HUIT
La fenêtre
Donnait
Sur une clairière
Sur la photo surexposée
On y voit les garçons
Cueillir des fleurs par brassées
Chasser le champignon
Ce sont trolles et narcisses
Leur mère en bottes de détective
Marche à la loupe
Sur des têtes de serpents
C’est pour ça
Qu’on avait les chaussettes montantes
Et c’est à cause des fleurs
Qu’on gardait la fenêtre ouverte
Toute la nuit
Les vaches au loin
Meuglent contre le vent
On court sous les arceaux
Jusqu’à la cascade de cheveux blonds
La caméra s’est cassée
Il faudra tout rembobiner
Tirer sur les élastiques
Monter dans les arbres
Pour de là-haut
Distribuer vingt quatre images par seconde

On ne se donne plus la peine
De passer au peigne fin
Cette histoire de sang neuf
Et de chevalier servant
C’était dans l’air du temps
Les mariés en blanc
Et les vieux vissés à leurs pipes
Les marmots allant au puits
Les postiers en ville
Qui se demandaient quoi faire
De toutes ses lettres
Tombées du ciel

Tu vois là-haut
La collégiale
Les chasseurs alpins
Et Monsieur Vauban en redingote
En mars
Ce sera la descente aux flambeaux
Puis en juillet Bernard Hinault
Se haussant du col et du braquet
Remporte l’étape contre la montre
Tous les gens te diront
Que les maillots jaunes
Ça court pas les rues
Que plus rare encore est le corbeau
Dans les arbres cathédrales

À treize ans
Faire des enfants
Elle savait y faire
Pleine page
Vulve poilue
Pieds nus dans la fougère
Soulève sa jupe puis fait la moue
Puis dit viens
Sous le cognassier encabané
Faut faire vite qu’elle dit
Donc la vitesse
Pour qu’elle s’accoude à l’échelle de corde
Longtemps ce baiser-là
Ce fut comme de la réglisse
Elle fait pouah
Et j’en suis tout moisi

Tu vois la pierre
Juste là
Sous l’aisselle
Comme un œuf écalé
Comme un oiseau délogé
Par le coucou du sein
L’annonce à la mairie est faite
Le bel hiver
Ce sera pour nous faire regretter
Nos déculottées nos patins à plumes
Et le lait bu à même la peau des rousses

Le vent
Toussote un peu
C’est normal
Sous la pierre ponce
Ou sur un fil de cuivre
Une fourmi mauve
Tambourine
Les vagues car ce sont des vagues
S’empêchent
Le vent debout fait de la neige
Un friselis d’eau caillée
Et les marins qui puent et qui prient
Qui pataugent dans un reste de beurre

Les paupières collées aux vitres
On les voyait jusqu’au creux du bois
Danser pieds nus dans l’herbe bleue
Par ci par là des remous
Puis des bures et des chats blancs
Des filles à lunettes d’hibou
Qui ouvrent grand les yeux
Une fois par heure pour vérifier
Que le monde est toujours là
Que personne n’a bougé
Que la photo sera nette
Et sans bavures

Je te touche
À l’épaule
Nue
Sous la cicatrice
Sous l’œil assombri
Du nombril sévère rempli de cire
On se donne
Un peu de temps
Avant de se rhabiller
Tu sais comment c’est
Après l’amour
On ne fume pas c’est interdit
Tout se dire
Avant d’y aller
Avant de recommencer à mentir

Le poète
Ça vit tout seul
Dans une masure à l’écart
Personne
À part le cyclope
Ne doit le voir
Sur la plage venteuse
Il fait de grands gestes
Mais Apollon est au téléphone
Faudra pas venir se plaindre
L’Olympe
C’est plus comme avant
Les dieux tweetent
Et les poètes sont des pitres

Tu veux une clope
Qu’il dit
Pourquoi pas
Ça fait dix ans
Que j’ai arrêté
Mais pourquoi pas
Toujours tout arrêter
Toujours tout recommencer
Je compte les îlots
De feuilles mortes
Au centre de la cour
C’est l’automne
Va falloir tout balayer tout recommencer
Et puis merde
A la fin

Le ciel est gris
J’aimerais juste voler
Il paraît qu’à une certaine hauteur
Les rouges-gorges
Demandent à être remboursés

Il y avait en contrebas une voie ferrée
Un seul train y passait une fois par jour
Qui venait d’où
Qui allait où
Je n’en sais rien
Mais tous les jours sur le coup de quinze heures
Le reste du temps
C’était tellement tranquille
Que je pouvais rester
Des heures durant
Allongé sur la voie
À me demander ce que ça me ferait
Si je venais là à m’endormir
Sur le coup de quatorze heures
Cinquante et des poussières

En sortant de la ville
En allant vers les bois
En traversant la rue
En grillant les feux rouges
En pressant le pas
En marchant sur les trottoirs
En dépassant la statue
En faisant du stop
En demandant son chemin
En toussant dans son masque
En courant plus vite que les voitures
En récupérant les enfants à la sortie des écoles
En faisant la conversation avec les mères de famille
Avec les policiers de garde
Avec les émondeurs et les garde-fruitiers
Il est probable qu’un jour lointain
On dira de moi qu’après tout
J’étais quelqu’un de tout à fait normal

La voiture ne démarre pas
À cette heure le soleil est haut dans le ciel
Un couple d’étourneaux fait le gué à la pointe des arbres
Il claque la portière de rage
Il ne sera pas au rendez-vous
Elle le regarde comme si elle ne le reconnaissait pas
Elle dit : « ce n’est pas grave »
Il hoche les épaules
Les chaînes du Jura derrière lui
Neige et terre en alternance, fumeroles
Des guirlandes de vaches somnolentes
Et des merles cette fois
Qui vont et viennent entre l’eau et la boue
Elle dit : « on peut marcher »
Il ne répond pas allume une cigarette
Elle dit : « tu m’en veux ? »
Il glisse les yeux dans sa poche
Elle n’a pas l’air de comprendre
Il marche sur la route en trainant les pieds
Elle essaie de lui prendre la main
Mais les mains
Elles sont dans les poches
Avec les yeux
Qui font le vide dans sa tête
