
«Entrer en poésie, c’est, sans changer de monde, se laisser dépayser par le monde » (Jean-Pierre Lemaire). Les curieux trouveront peut-être ici de quoi se dépayser. Ce site, cette plateforme, cette vitrine, ce blog présente des textes distribués par « chambre » selon la disposition des fenêtres et des paysages sur lesquels donnent ces fenêtres.
J’ai publié en revue et en plaquettes, la plus récente intitulée « Aletheia » (« vérité » en Grec) ayant été publiée aux éditions de la Librairie-Galerie-Racine.
La poésie souffre de nombreux malentendus. Le poète serait un être lunatique, détaché du monde réel, un farfelu épris de lubies, un marginal, un rêvasseur, un délicat, un saint, un martyre. La réalité est plus simple mais, en un sens, plus exigeante. Il n’y pas de poésie sans renoncements dont le renoncement à une certaine idée de la poésie n’est pas le moindre. Je pars de l’idée qu'un poète est avant tout un artisan travaillant une forme par laquelle il aspire à déchiffrer le monde autour de lui, sans jamais cesser de s’étonner (l’étonnement est sa matière première). Le poète n’est ni magicien, ni prophète; il ne s’exprime pas, il ne communique pas, il ne fait pas dans l’idée, il n’est pas engagé mais dégagé; c’est un musicien qui fait des notes avec des mots, qui découpe des formes, fait surgir des images. Comprendre cela demande du temps, de la patience, de l’écoute. Cela demande de s’élever au-dessus du procédé, des maniérismes, du narcissisme, des facilités auxquelles on succombe quand le besoin de rendre une émotion nous presse. La poésie ne se laisse pas prendre au chantage des revendications de sincérité. Elle demande davantage, elle va chercher plus loin, sans qu’il soit possible de situer cet au-delà, cet ailleurs. Parfois, un poème sonne juste, on ne saurait dire pourquoi mais on le sent, c’est tellement évident que cela ne se discute pas. Pour ma part, je ne cesse jamais de douter, je ne suis jamais satisfait, je me trompe ou suis détrompé, je ne parviens pas toujours à maintenir un regard neuf sur les mots qui me viennent, sur ma manière de les assembler, je remets sans cesse sur l’ouvrage et à la fin, s’il y a deux ou trois poèmes, parmi tous ceux présentés ici, qui se hissent au-dessus du lot, ce serait déjà bien. Un regard extérieur est évidemment toujours le bienvenu. Le partage est essentiel, même si je crois qu’au fond, on n'écrive jamais que pour soi - mais je me trompe peut-être.
Une dernière chose, un autre malentendu: la poésie bien évidemment ne change pas le monde mais elle peut changer la vie. Elle donne à voir ce déjà-vu qui ne l’était pas, qui ne l’est pas. Sa difficulté tient justement à ce qu’elle doit composer avec les mots de tous les jours pour leur faire rendre ce qu’ils ne savent dire quand ils sont employés en mode automatique. C’est une affaire de clairvoyance, littéralement de clairvoyance. Rimbaud ne disait rien d’autre. Et cela change la vie.
Denis Petit-Benopoulos
"Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouïr comme en songeant la course d'un ruisseau,
Écrire dans les bois, m'interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m'être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu'un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu'un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J'aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s'engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n'ont jamais pensé les hommes et les Dieux."
Extrait d’Élégie à une dame
de Théophile de Viau (1590 - 1626)

« Ce n’est pas la peine d’écrire des vers « intelligents ». Il faut écrire des vers magnifiques, des vers poétiques. Dans Oblomov de Gontcharov, le héros surprend son valet en train de réciter des vers. « Tu comprends la poésie ? » lui demande-t-il en se moquant. « Si je comprenais, répond le valet, ce ne serait pas de la poésie. » Réponse parfaite et juste. » Journal de Sandor Marai, « Les années hongroises 1943-1948 ».
"Voici merveille: nous avons bien plus de poètes, que de juges et interprètes de poésie. Il est plus aisé de la faire que de la connaître."
Montaigne, Chapitre XXXVII, 1er Livre, Essais